vendredi 26 juin 2009

Le luxe se solde (-rait) ?

Soldes suprêmes, soldes exceptionnels, soldes absolus, soldes soldes soldes !!! Depuis mercredi 24 juin, les soldes d’été ont commencé en France. Après un 1er semestre très difficile pour tous les secteurs économiques, y compris le luxe, ces soldes représentent un enjeu considérable pour le résultat opérationnel des marques.

L’industrie du luxe, qui cultive les paradoxes (voir l’excellent article de Bernard Dubois à ce sujet), s’accommode avec facilité du principe des soldes, et le poids de cette période de l’année sur le CA des marques et des distributeurs est de plus en plus considérable.

Mais comment concilier l’idée de luxe et celle des soldes ? Quid de l’image ? Y a t il un risque à terme pour les marques à brader leur marchandise à date fixe ? Je vous propose quelques éléments de réflexion.

Le prix, élément essentiel dans la définition du luxe : la dimension sociétale

Le prix restreint l’accès au luxe, donc crée la mise à distance nécessaire à la « sanctuarisation » de la marque.

Le prix est un facteur d'exclusion. À ce titre, il définit pleinement la dimension "sociétale" du luxe. D’ailleurs, on peut dire que le luxe se définit autant par les populations qu’il tient à l’écart que par les personnes qu’il entend réunir.

Le luxe se paye cher, il se mérite, il est une récompense.

Jadis des clients fidèles, aujourd’hui des consommateurs aguerris

La loyauté des clients envers une marque, dont les maisons ont pu se prévaloir pendant des années, notamment dans la mode, car attachée à un style incarné par un créateur, n’existe pratiquement plus. En fait, elle existe encore, mais pour un très petit nombre de clients.

Les clientes consomment le luxe avec discernement, introduisant le rationnel dans ce qui était jusqu’ici l’émotionnel, l’affectif. Le caractère émotionnel de notre relation au luxe n’a pas disparu, loin de là. Cependant, il n’est plus aujourd’hui le seul déclencheur de l’acte d’achat. On compare, on juge, on examine, bref on raisonne. Le web, les nouveaux médias, et l’information en temps réel (toujours elle…) ont largement changé la donne. Car même si, in fine, la décision d’achat reste un mécanisme ultra complexe tant il peut être en proie aux passions et à l’inconscient, il n’en reste pas moins que nous avons introduit cette part de raisonnement dans l’équation.

La question du point de vente

Le point de vente se transforme pendant les soldes. Objet de toutes les attentions pour les maisons, au prix d'investissements coûteux et de loyers souvent exorbitants, il passe d’un écrin (si gigantesque soit-il) à une foire d’empoigne, un lieu engorgé et par conséquent dégradé…au grand désespoir des architectes et autres merchandisers visuels. À ce titre, on peut noter l'exemple de la maison Dior qui, depuis quelques saisons maintenant, "délocalise" ses soldes parisiens de la boutique Montaigne à l'espace Drouot Montaigne, afin de ne pas "abîmer" la boutique historique pendant cette période et de conserver intact pour les clients le flagship parisien de la marque. Des clientes qui apprécient la tranquilité d'un shopping préservé des hordes de serial shoppeuses au comportement frénétique.

L’élément temporel dans l’ouverture au luxe que représentent les soldes

Les soldes sont une course de sprint pour le client, alors que le luxe véhicule l’idée d’intemporel. Le « vrai » luxe, même si je préfère ne pas utiliser cette terminologie, ne peut s’envisager avec une date limite, au delà de laquelle il deviendrait caduque. Le vrai luxe, à vrai dire, est de ne pas avoir besoin d’attendre les soldes. Mais je vois déjà les critiques me taxer de snobisme…

Le rituel des soldes : sa mise en scène, sa représentation

Files d’attentes interminables, vigiles, clients qui entrent au compte-goutte, zoning, conditions d'achat spéciales : tout est théâtralisé lors des soldes. On crée une dramaturgie pour faire monter la hype, l'excitation, l'envie, comme si tout se jouait pour le client à ce moment précis (à vrai dire tout se joue pour les marques).

Prix et valeur du luxe

Entre les 2 périodes de soldes "classiques", les nouveaux soldes "flottants" et le reste des autres périodes de promotions au sein des grands magasins, il n'y a aujourd'hui presque plus que 4 mois dans l'année pendant lesquels le client achète les produits à plein prix. Dès lors, s'il peut acheter à prix réduit presque tous les mois de l'année, pourquoi acheter à plein prix ? Cela pose immédiatement la question des marges des marques et des distributeurs, qui se voient directement dégradées par ces opérations.

Oscar Wilde avait défini le cynique comme celui "qui connaît le prix de chaque chose et la valeur d'aucune". Quel est l'impact de la réduction du prix d'un produit de luxe sur notre perception de sa valeur ? Le prix est un élément objectif qui positionne un produit sur le marché en le dotant d'un critère de comparaison rationnel. La valeur, elle, est un élément hautement subjectif car attachée à la perception de chacun, à notre rapport personnel à la marque et au produit.

Conclusion : un coup de canif dans la fabrique du rêve ?

S'il est vrai, à l'examen de ce qui caractérise le concept de soldes (et de remise en général), qu'il procède d'une sérieuse altération de l'un des caractères essentiels du luxe - le prix -, il n'en reste pas moins que les soldes sont une réalité dont l'immense majorité des maisons de luxe ne peut se passer. Alors stocks invendus ou marge à la baisse, le débat reste ouvert quant au dilemme devant lequel se trouvent les maisons. Quant à l'impact sur l'image, le diagnostic est loin d'être aisé. A tout le moins doit-il être tempéré. Si aujourd'hui seul Louis Vuitton peut se targuer de ne pas solder ses produits sans remettre en cause sa profitabilité, il en va différemment pour l'ensemble des autres acteurs du luxe. Au moins cet exemple unique peut-il leur permettre de repenser leur rapport aux soldes.

Enfin, pourquoi ne pas commencer pour les marques par communiquer différemment sur les soldes. A titre d'exemple, Le Bon Marché a trouvé son credo : "Nos soldes sont rares, et donc précieux..." disent les vitrines de la rue de Sèvres. Habile façon de retourner la problématique abordée plus haut : le solde devient un luxe, rare et donc précieux. Encore cette histoire de valeur "latente" attachée à la marque.

En conclusion, on comprend bien que le prix fait partie d'un faisceau d'éléments convergents qui, lorsqu'ils sont réunis avec talent et pertinence, projettent dans notre esprit l'idée de luxe.

Produits d'exception, communication, expérience en magasin, et notions de services feront le reste...luxe oblige !

1 commentaire:

  1. Bonjour
    En tant que créatrice de mode à Paris, j’essaye tout au long de l’année de proposer à ma clientèle des modèles de couture réaliser en techniques hautes coutures (entre 180 et 200h de travail par robe), se sont des modèles uniques pour la plupart car je fais toujours en sorte de ne prendre des coupes de tissus ne me permettant de faire qu’un modèle par coupe, pour que chaque femme soit unique.
    Mes prix sont très loin d’être ceux de la haute couture, bien que je n’emploie que du personnel issu de ce milieu. J’applique le coefficient du simple prêt-à-porter, pour offrir au plus grand monde la possibilité d’avoir du grand luxe à un prix certe élevé, mais sans commune mesure avec la haute couture. Je n’ai ni financier, ni âme charitable qui m’aide à payer mes facture, comme la plupart des grands couturiers.
    Pour moi il n’est donc absolument pas question de brader ce travail, ça reviendrait à dire que le reste de l’année « je vole » mes clientes en leur vendant à un prix qui n’est pas le bon.
    Si bien qu’aujourd’hui on marche sur la tête, les gens n’attendent que les soldes pour acheter.
    Je veux bien admettre que bon nombre de gens n’ont pas la possibilité de s’offrir des objets a des prix qui dépassent de loin celui de leur salaire, mais quand on voit que même celles qui ont largement les moyens de s’offrir ce type d’objet, font elle aussi la course aux soldes dans les grandes maisons, ça laisse rêveur !. Ou est le temps ou le mot luxe était synonyme de rêve ? Ou l’exceptionnel, le rare faisait figure de luxe ?.
    Je crois simplement qu’a force de faire diriger les maisons de luxe par des financiers, on n’a voulu à tout prix faire du profit, en tuant au passage le créateur qui faisait la marque.
    Aujourd’hui toutes ces maisons meurent jour après jour. Ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis, et ils emportent avec eux tout un pan de l’économie et de métiers qui disparaissent avec les marques.
    FLORA ROY STE CHRYSALIDES

    RépondreSupprimer